Hit refresh - Satya Nadella
Le titre de l'ouvrage annonce intuitivement de quoi il sera question : Le renouveau. Le récit d'une transformation déjà entamée, et la promesse d'un changement perpétuel, pour Microsoft comme pour l’auteur, Satya Nadella.
Lorsqu'il est question de technologie, la notion de mise à jour est omniprésente, les métiers de la tech étant en constante évolution au même titre que les outils qui en font le quotidien.
Satya Nadella entend faire comprendre par cet ouvrage que Microsoft, ayant d'abord rompu avec l'image d'une compagnie en stagnation perchée du haut de son monopole, se montre désormais dans une nécessité permanente de se réinventer.
L'auteur alterne tantôt entre son parcours personnel et l'Histoire de la firme de Redmond à travers cet ouvrage rédigé sous forme de récit en partie autobiographique.
Conter l'Histoire de Microsoft et sa métamorphose n'est pas le seul objectif de l'ouvrage. Dépassant la chronologie reliant le passé au présent, Satya Nadella se projette lui-même ainsi que la firme dans un avenir dont il veut voir figurer Microsoft parmi les pionniers.
« To my first question, why does Microsoft exist, the message was loud and clear. We exist to build products that empower others. »
Loin de se contenter uniquement de décrire les tendances chez Microsoft et dans le reste du monde de la tech en général, Satya Nadella s'attèle à une remise en question de Microsoft en tant que projet au-delà de l’aspect technologique. Il ne s'agit pas pour lui, dans ce livre, de simplement dresser la liste des besoins du marché et expliquer en quoi Microsoft est capable d'y répondre.
Le CEO s'étale en réflexions relativement profondes sur le rôle de la technologie dans la vie des sociétés humaines et des individus, et donne un ton presque philosophique, ou du moins introspectif au livre.
Il n'est pas uniquement question dans l'ouvrage d'étudier les détails techniques des produits Microsoft, de ses concurrents, ou des tendances du milieu. Satya Nadella tente de déterminer en amont de l’aspect technique des produits de la firme le Service avec un grand S que Microsoft rend à l'humanité.
Le cloud, la réalité virtuelle ou augmentée, l'intelligence artificielle et autres sujets touchant purement à la technologie ou à la stratégie commerciale de Microsoft y sont abordés, mais l'auteur met surtout l'accent sur une sorte de mission transcendant la technique ou les mécanismes d’offre et demande. La barre est donc placée assez haute, plus ou moins bien assumée, malgré quelques zones d'ombre qui fragilisent l’ambition de l’écrit, comme nous le verrons par la suite.
La notion "d'empowerment", déroulée tout au long de l'ouvrage, sera d'emblée présentée comme la réponse à la raison d'être ontologique de la firme. L'empowerment tel que conçu par Satya Nadella, est en quelque sorte le cadeau, la « mission » que s'est fixé Microsoft, qui a selon lui le but de permettre au monde entier, petits comme grands, individus comme organisations, de faire toujours plus. Ici, la question n’est pas tant de savoir quoi exactement, mais combien.
C'est donc par le déroulement d'une liste de « plus » que cet empowerment va s'illustrer, sans malheureusement être défini de façon suffisamment précise. Si l’on comprend tout au long de l'ouvrage que l’on peut faire plus avec Microsoft, faire différemment sans Microsoft n'est presque jamais abordé.
Ce manque d'approfondissement dans la fonction que remplit le logiciel en tant qu’outil rend le "refresh" voulu par l’auteur moins pertinent, au regard de la diversité des façons de concevoir et d’utiliser la technologie et en particulier le logiciel aujourd'hui. On aurait pu s’attendre à davantage de la part du CEO de Microsoft, dont la conception de logiciels est au cœur de l’activité.
« Bill and Paul Allen started Microsoft with the goal of helping to put a computer on every desk and in every home. »
A titre d'exemple, Nadella affiche comme un succès, comme véritable « empowerment » dont le mérite est attribué à Bill Gates et Paul Allen, la concrétisation de l'ordinateur sur chaque bureau, dans chaque maison. Nadella semble confondre les évolutions technologiques liées à l'outil informatique et le rôle de Microsoft dans ces changements historiques.
Même si au cours de diverses interventions Satya Nadella a montré qu’il savait reconnaître les apports extérieurs à la firme qu’il représente, Microsoft est dans cet ouvrage toujours placé au centre des innovations jusqu’à confondre la technologie en elle-même et un produit Microsoft associé.
Cette confusion devient par exemple déroutante lorsque l'auteur va jusqu'à parler de la façon dont il est possible grâce à Microsoft de réaliser ses rêves, en associant ces réalisations à des produits identifiés comme Xbox, Microsoft Office ou les tablettes surfaces, plutôt qu'à la fonction première que ces outils remplissent.
On a l’impression que la bureautique, les tablettes, le jeu vidéo et autres n’existent pas ou peu en dehors de l’écosystème de Microsoft.
C'est sur ce plan-là que "l'empowerment" façon Microsoft, ou du moins façon Satya Nadella, montre ses limites. Dans sa vision, l'auteur ne donne malheureusement que très peu de place à la technologie en tant qu'outil et ce qu'elle permet d'accomplir, en reliant presque systématiquement la tâche accomplie à un produit Microsoft explicitement nommé.
C'est un peu comme si Ford se vantait d'avoir inventé la voiture citadine, tout en s'attribuant le mérite des déplacements quotidiens des milliards d’individus utilisant le train, l’avion, le vélo.
Car justement, il est très peu question ici de comparer la conception du logiciel chez Microsoft à ses alternatives. Tout est conté comme si aucune autre façon de faire n'existait. Ce silence qui peut dans les débuts de l'ouvrage être pardonnable, se transforme au fur et à mesure des pages en zone d'ombre pesante qui masque péniblement un manque argumentaire.
On regrettera donc de ne pas voir exposé par le CEO ce qui dans l'ADN des produits Microsoft, qu'ils soient des services de Cloud Computing ou de Visioconférence, se démarquent de leurs concurrents ou alternatives, en particulier lorsqu'il s'agit de logiciel libre.
C’est justement ce manque d’autonomie vis-à-vis de la firme, condition oubliée de la véritable liberté dans l’utilisation d’outils numériques, qui est occulté. Quelles sont les limites de l’« Empowerment » tant recherché dans cette suite de services dont le fournisseur reste le propriétaire, l’hébergeur, l’orchestrateur tout au long du processus ?
L'auteur s’évertue pourtant longuement à démontrer que vis-à-vis du monde du libre, la page d'une histoire difficile est tournée, et affirme ouvertement par exemple que désormais « Microsoft love linux ».
Il est en effet difficile de passer à côté des efforts conséquents de Microsoft, et du changement majeur de politique dans sa façon de considérer le logiciel libre et plus précisément Linux. L’époque où Steve Ballmer parlait de linux comme un « cancer » semble révolue. Satya Nadella avoue d'ailleurs ouvertement l'ancienne crispation à ce sujet au sein de l'entreprise en explicitant :
« Dogma at Microsoft had long held that the open-source software from Linux was the enemy. ».
Le caractère dogmatique de cette réticence au logiciel libre fait partie du passé, selon l'auteur. Linux est aujourd'hui supporté dans Azure ; un sous-système linux est désormais intégré à Windows ; et Microsoft accorde même mensuellement un prix à un projet de logiciel libre élu par un comité interne à l'entreprise : le Microsoft FOSS Fund. Que de preuves de bonne foi.
Cet « empowerment » que constitue donc la possibilité à travers les produits Microsoft, d'utiliser plus facilement des logiciels libres, est décrit par l'auteur comme une volonté de la part de la firme d'avoir pour principal souci de satisfaire les besoins de ses partenaires et clients, qu'ils soient des individus ou des organisations.
Mais cette définition du besoin reste comme la notion d'empowerment assez opaque. Par exemple, le besoin pour certaines entreprises ou secteurs d’activités de préserver un savoir-faire logiciel interne, de disposer d’un code source adaptable aux besoins spécifiques d'une organisation ou d'un individu, n'est jamais abordé. Le logiciel n'est pas dans la vision de Satya Nadella, un savoir-faire ou un outil, mais un service ou un produit, coulant du haut (Microsoft) vers le bas (l’utilisateur), jamais le fruit d’un échange ou d’une construction plus horizontale, ou collaborative.
« Every company is becoming a digital company... »
Selon le CEO, chaque entreprise devient aujourd’hui d'une façon ou d'une autre, une entreprise numérique. Mais l'ouvrage reste muet jusqu'au bout sur la place de la technologie dans chaque organisation, la nature de sa manifestation, la diversité des besoins, voire parfois sa pertinence. Satya Nadella fait donc sortir Microsoft du simple rôle de fournisseur d’outils à adopter selon les besoins, à un accompagnateur bienveillant proposant une solution inévitable prête à l’emploi. Tout se passe presque comme si chaque membre de chaque entreprise, école ou association avait besoin d'une tablette Surface, et que l’unique choix restant consistait à sélectionner la gamme.
L'auteur affirme pourtant que le rôle des grandes industries de la tech ne devrait pas être d'imposer leur vision à marche forcée en affirmant : « The tech industry should not dictate the values and virtues of this future. ». Mais la dernière partie de l'ouvrage continue pourtant comme si ce futur était déjà discuté et que la charge incombait à Microsoft et une poignée de compagnies d'accompagner le monde dans ces changements.
Cette unique voie, porteuse de valeurs dont Satya Nadella veut faire de Microsoft le grand défenseur, devient plus nettement discernable lorsqu'il est question d'IA et de Cloud Computing. A partir d'ici le CEO propose dans la continuité de sa pensée, de permettre à chacun de bénéficier des infrastructures de Microsoft et de quelques autres compagnies similaires pour entrer dans cette nouvelle ère. Comme le reste des outils abordés dans l'ouvrage, L'IA en tant que technologie est présentée comme un service fourni par Microsoft à adopter au plus vite partout où il est possible de le faire, et non en tant qu’outil à analyser dans sa nature, et à déployer selon sa pertinence.
« ...and that process begins with infusing their products with intelligence »
Cette vision assez vague de ce qu’est l’intelligence, artificielle ou non, a été par ailleurs largement remise en question par une chercheuse travaillant également pour Microsoft : Kate Crawford, dont nous aborderons un ouvrage dans un prochain article. Son ouvrage « Contre-Atlas de l’intelligence artificielle » traite de l’IA non comme une technologie coupée de toute racine et de toute influence comme la présente Satya Nadella, mais comme le résultat d’un long processus qui accentue la transformation de la relation entre le fournisseur et le bénéficiaire que le font déjà les autres outils numériques.
Pour conclure, cet ouvrage est donc particulièrement intéressant, tant par ce qu'il aborde, que par ce qu'il n'aborde pas. Qu'on soit en accord ou non avec la vision de l'auteur, les aspects de la transformation de Microsoft abordés sont divers, enrichissants, et très nombreux pour être tous abordés dans cet article.
Malheureusement disponible uniquement en langue anglaise pour le moment, il est toutefois rédigé dans un anglais accessible, que les habitués du vocable de la tech n'auront pas de mal à appréhender.